Confortablement installé dans une voiture du prestigieux train à grande vitesse, vous traversez la campagne paisiblement, bercé par le roulis régulier des wagons et le défilement hypnotique des paysages. La destination : la Capitale. L’ambiance est feutrée, presque trop calme. Une sérénité trompeuse, comme un silence avant la tempête.
Soudain, l’équilibre se rompt : un passager s’effondre. Il ne respire plus. La victime n’est autre qu’Albert Pérignac, un sénateur influent.
Malaise cardiaque ? Accident ? Ou meurtre soigneusement maquillé ? Très vite, le doute s’installe, les soupçons s’aiguisent. Et si quelqu’un, ici même, avait voulu sa mort ?
À vous de mener l’enquête, indice après indice, question après question. Et souvenez-vous : dans ce train, tout le monde pourrait avoir quelque chose à cacher.
Ceux qui ont connu l'âge d'or des jeux d'aventure sur les ordinateurs 8 bits se souviendront avec une certaine nostalgie de la série « Meurtres » de « Cobra Soft ». Imaginée par Bertrand Brocard, le fondateur du studio, cette collection d’enquêtes policières se distinguait par une approche aussi novatrice qu’ingénieuse : l’intégration d’indices physiques directement dans la boîte du jeu. Une idée toute simple, mais diablement efficace. Non seulement elle renforçait l’immersion du joueur, le plongeant dans un univers quasi palpable, mais elle s’avérait aussi une formidable parade contre le piratage — et un excellent argument marketing.
Aujourd’hui, les titres de la série « Meurtres » sont devenus de véritables trésors recherchés des collectionneurs. Témoins d’un certain âge d’or du jeu à la française, ils incarnent une époque où la narration et le mystère primaient sur la technique, et où le joueur devenait véritablement détective.
La série s’étale de 1985 à 1990 et comprend cinq épisodes :
• 1985 - Meurtre à Grande Vitesse [Oric, MO5/TO7, MSX, Amstrad CPC, Commodore 64, EXL100]
• 1985 - Meurtres sur l'Atlantique [Amstrad CPC, MO5/TO7, Commodore 64]
• 1986 - Meurtres en Série [Amstrad CPC, Atari ST, PC]
• 1988 - Meurtres à Venise [Amstrad CPC, Atari ST, Amiga, PC]
• 1990 - Murders In Space [Atari ST, Amiga, PC]
Si le cadre et l’époque changent d’un épisode à l’autre — d’un train lancé à toute allure à une croisière transatlantique, d’une Venise menacée par une attaque terroriste à un huis clos spatial — la mécanique reste la même. Résoudre l'enquête consiste à interroger tous les suspects, fouiller les lieux, cartographier l'environnement, noter tous les événements intriguants, et bien sûr décrypter tous les indices mis à votre disposition.
Reprenant le design emblématique de la première gamme des produits Cobra Soft — un boîtier au format VHS, habillé d’un visuel vert pomme et blanc — la boite du jeu renferme treize indices indispensables à la résolution de l'énigme. Durant la partie, leur découverte est signalée par trois « X » à l'écran. Si les indices sont là pour vous guider vers la vérité, encore faut-il en saisir toute la portée.… Car loin de livrer leurs secrets facilement, chacun d’eux se révèle être un véritable casse-tête intellectuel. Ici, chaque élément trouvé — une lettre codée, un listing informatique, un message griffonné à la hâte — peut être aussi bien la clé de toute l’intrigue… qu’une fausse piste habilement glissée pour vous égarer. Comble du machiavélisme, certains ne prennent sens qu’une fois un autre indice élucidé, tel un enchevêtrement logique où chaque révélation en appelle une autre. Terminer l'enquête exige des heures et des heures de jeu, parfois bien plus. Et rares sont ceux qui sont parvenus à en démêler tous les fils jusqu’au bout. Un défi intellectuel aussi stimulant que redoutable.
Parmi les nombreux indices soigneusement glissés dans la boîte du jeu, l’un d’eux retient immédiatement l’attention. Un simple bout de papier, griffonné à la va-vite, sur lequel figure une phrase en apparence anodine :
« LE MOTEUR DU TGV PESE LOURD DANS LA SOLUTION ». Un ami qui vous veut du bien
Ces quelques mots, lourds de sens, incarnent à eux seul toute la philosophie de Meurtre à Grande Vitesse. Loin d’être anecdotique, cette affirmation énigmatique a hanté bien des joueurs, semant le doute, éveillant des théories, laissant sous-entendre que la clef de l’énigme — ou du moins une partie essentielle — pourrait bien se cacher là, dans ces mots, apparemment jetée au hasard.
C’est précisément cette approche, où chaque détail peut devenir une obsession, qui fait toute la force (et la frustration) du jeu. Le moindre bout de papier, la plus discrète annotation, peut receler une complexité inattendue.
Alors, ce jeu est-il réellement insoluble ?
À bien y regarder, sa difficulté est exigeante, mais pas insurmontable. Moins tortueux que ses successeurs, ce premier volet pose cependant les bases d’une série où la rigueur d’analyse, la patience et l’intuition deviennent les seules armes du joueur. Et c’est peut-être justement ce savant dosage entre défi et accessibilité qui a permis à la saga des Meurtres de s’ancrer durablement dans la mémoire collective.
Pour comprendre « Meurtre à Grande Vitesse », il faut remonter aux origines. Celles d’un jeu, bien sûr, mais aussi d’une époque, de son auteur Bertrand Brocard, et de quelques passionnés qui ont participé à l'histoire de l’une des sociétés françaises du jeu vidéo les plus emblématiques des années quatre-vingt : Cobra Soft.
Toute cette histoire commence au début des années 80. L'informatique domestique n'a pas encore envahit les foyers français mais cela ne saurait tarder.
Outre-Atlantique, deux hommes — Steve Jobs et Steve Wozniak — ont mis au point l’Apple I, un ordinateur livré en kit, à assembler soi-même et... réservé aux initiés. En 1977, l’Apple II prend la relève : plus convivial, plus performant, il rencontre le succès… mais son prix reste élevé.
Pendant ce temps, de l'autre côté de la Manche, un ingénieur britannique s'apprête à bouleverser le marché. Son nom : Clive Sinclair (1940–2021). Visionnaire autant que pragmatique, il nourrit une ambition simple mais audacieuse : faire entrer l’informatique dans tous les foyers, y compris les plus modestes. Pour y parvenir, une priorité s’impose : faire chuter drastiquement les coûts de fabrication des micro-ordinateurs. Quitte à rogner sur des composants essentiels, comme la mémoire vive, au profit d’un prix accessible. En 1980, sa société Sinclair lance ainsi le ZX80, premier ordinateur 8 bits commercialisé à moins de 100 livres sterling au Royaume-Uni — et sous la barre psychologique de 1 000 francs en France. Une petite machine, certes rudimentaire, mais une révolution était en marche.
Basé sur le processeur Zilog Z80, équipé d’un maigre kilo-octet de mémoire vive et d’un langage BASIC intégré en ROM, le ZX80 s’allume et fonctionne instantanément. Son clavier à membrane est spartiate, son affichage rudimentaire… mais cela n’empêche pas son succès. Car l’essentiel est là : pour la première fois, un ordinateur personnel entre dans les foyers modestes. Et avec lui, un foisonnement de créations, de jeux, d’idées neuves — un terrain fertile qui ne tarde pas à éveiller l’intérêt d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, bien décidés à saisir cette nouvelle opportunité.
Bertrand Brocard est imprimeur à Chalon-sur-Saône. Comme beaucoup à cette époque, il est séduit par les possibilités qu'offre l'informatique personnelle. Il anime à ses heures perdus un club informatique local Microtel, comme il en existait alors beaucoup en France. Constitués de ce qu'on appelerait aujourd'hui des geeks, ces petits clubs locaux étaient un moyen de rencontrer d'autres passionnés, formidable viviers de Géo Trouvetou, partageant leur passion commune, leurs astuces, et il faut le dire aussi seul moyen de s'adonner à l'informatique à une époque où posséder un ordinateur était encore un luxe inabordable pour la plupart des personnes.
Bertrand Brocard fondateur de Cobra Soft
J'ai commencé à acheter un tas de bouquins auxquels je n'ai rien compris pour finir au club Microtel de Chalon penché sur un TRS80
L'achat d'un Apple ou d'un TRS80 n'est alors pas envisageable pour lui à ce moment-là. Trop cher ! En 1983, le vent tourne. Direco international, l'importateur officiel de Sinclair en France propose le tout nouveau ZX80 à un prix défiant toute concurrence: 1200 francs ! C'est le premier saut pour lui. Un ordinateur sur lequel il fera ses premières armes avant de passer à son successeur le ZX81.
Petit à petit l'informatique prend le pas sur son activité d'imprimeur, surtout que selon les commandes l'imprimerie n'est ouverte que 50% du temps. Mais l'arrivée d'un nouveau micro-ordinateur, l'Oric-1 va bouleverser sa vie.
J'ai développé de petites applications intéressantes. Ensuite, je suis passé rapidement au ZX81 avec extension 16 ko. Enfin, ça a été l'Oric, et c'est alors que tout à commencer. Par exemple, j'ai fait avec lui le dépouillement et la publication des élections municipales de Chalon: J'ai également fait des softs de facturation et de compta. Parfaitement, avec un Oric !
Bertrand Brocard, fondateur de Cobra Soft
Avec son processeur 8 bits cadencé à 1 MHz, ses 16 Ko de mémoire vive — extensibles à 64 Ko —, son BASIC intégré et son clavier semi-mécanique, l’Oric-1 avait tout pour séduire… ou presque. Proposé à un prix très compétitif, il offrait un rapport qualité/prix difficile à battre à l’époque. Rapidement, l'Oric-1 s’impose dans les foyers français, notamment grâce à une ludothèque attractive en phase avec son époque, touchant un public plus large, plus jeune, portée par des titres marquants comme L’Aigle d’Or, Le Manoir du Dr Genius, ou encore Le Sceptre d’Anubis, signé par un certain Éric Chahi, jeune prodige à qui l’on prédisait déjà un brillant avenir dans le monde du jeu vidéo.
Avec environ 50 000 unités écoulées en 1983, l’Oric-1 devient ainsi le tout premier ordinateur grand public à s’inviter massivement dans les salons français. Mieux encore, il éveille des vocations : toute une génération découvre l’informatique en programmant, souvent depuis leur chambre, une ligne de code après l’autre, expérimente, bidouille, souvent seul, face à l’écran, dans un silence rompu par le cliquetis du clavier. C’est là, dans cette effervescence pionnière, que naît ce qui peut être considéré comme la toute première génération de développeurs de jeux vidéo en France.
Parmi ces autodidactes, plusieurs noms marqueront durablement l’histoire vidéoludique : Éric Chahi, futur créateur d' Another World ; Frédérick Raynal, père d’Alone in the Dark ; Louis-Marie Rocques, fondateur de Silmarils ; Eric Caen, fondateur de Titus ; ou encore Rémi Herbulot, auteur de Macadam Bumper et L'ange de Cristal. Tous ont un point en commun : Ils étaient les premiers d’un monde qui restait encore à inventer.
Saisissant l’opportunité de ce nouvel engouement pour l’informatique, Bertrand Brocard ouvre à Chalon-sur-Saône une boutique baptisée Micros & Robots. Véritable caverne d’Ali Baba pour passionnés, l’endroit regorge de merveilles technologiques : bras robotisés pilotés par ordinateur, tables traçantes, moniteurs, logiciels en tous genres — et bien sûr, des ordinateurs Oric.
C'est là qu'il fait la rencontre de Gilles Bertin, alors ingénieur chez Creusot-Loire, fleuron de l'industrie sidérurgique française. Passionné d’informatique Bertin se laisse tenter par l'achat d'un Oric-1, Très vite, il en maitrise les moindres arcanes, allant jusqu’à réécrire une portion de code manquante dans l’un des logiciels fournis. Une compétence et une initiative qui ne passent pas inaperçues.
J'ai rencontré Bertin d'une manière étonnante. Il ne connaissait pas bien l'Oric, il venait juste de m'en acheter un. Je lui ai aussi vendu un langage Forth en cassette. Mais il y avait eu un problème de duplication et il manquait une partie du programme, ce que je ne savais pas. C'est Bertin qui est venu me le dire quelques jours plus tard : il avait lui-même réécrit ce qu'il manquait - source Micro News n°20 page 20
Bertrand Brocard, fondateur de Cobra Soft
Tout semble être au beau fixe et pourtant... En ces années de présidence Mitterrandienne, s'il semble souffler sur la France une certaine forme d'insouciance et un vent de liberté, le pays est aussi traversé par de graves crises touchant plusieurs secteurs économiques dont celui de la sidérurgie.
En juin 1984, fortement impacté par la concurrence mondiale, la société Creusot-Loire dépose le bilan, un drame économique et social pour de nombreuses familles. Pour Gilles Bertin c'est la douche froide mais aussi un moyen de rebondir et pourquoi pas dans l'informatique ? Encouragé par les aides de l'état et de Creusot-Loire, il décide de s'associer à Bertrand Brocard dans la création d'une nouvelle société « ARG Informatique ».
J'ai proposé des softs à des éditeurs, mais compte-tenu des conditions proposées, j'ai préféré les éditer moi-même. Quelques mois plus tard, je m'associais à Gilles BERTIN - Auteur de Cobra Pinball, entre autres - et c'était la naissance d'ARG Informatique.
Bertrand Brocard, fondateur de Cobra Soft
Moins d'un an plus tard, ils créent ensemble un nouveau label « Cobra Soft » dédié à l'édition de logiciels.
Pourquoi « Cobra Soft » ? Simplement parce que « ARG informatique » n'était pas un nom assez porteur et qu'ils voulaient un nom plus dynamique, plus agressif.
Mais les débuts sont difficiles, dû à un manque d'expérience dans ce secteur encore balbutiant. La société ne fait pas de poussées fulgurantes mais entretient une politique éditorialiste ambitieuse. En 1984, ARG édite 13 logiciels ; en 1985, plus de 30, principalement sur Oric et Thomson. Beaucoup sont issus de créateurs indépendants, étudiants pour la plupart pour qui les maigres bénéfices sur les ventes deviennent une source de revenu pour financer leur étude.
Ce choix éditorialiste assumé vaut parfois à la société de sévères critiques dans la presse spécialisée comme dans cet article d'Amstrad Magazine n°2 où le journaliste termine son test de « La ville infernale » par ces mots : « Cobra édite d'excellents jeux, mais a le grave défaut de ne pas soigner leurs graphismes. C'est le cas pour La ville infernale qui se révèle comme un superbe jeu, mais avec des dessins absolument nuls ».
Parallélement la société redouble d'efforts, communique plus, et commence à se faire connaitre de la presse spécialisée. Dans le magazine CPC n°4 d'octobre 1985, un article est consacré sur l'éditeur dans sa rubrique « Un éditeur se présente » ou encore dans le Tilt n°20 d'avril 1985 dans une news intitulée « La Danse du Cobra ».
Bertrand Brocard comprend très vite qu’une jeune société comme la sienne ne peut espérer percer sans adopter une stratégie audacieuse. Pour se faire remarquer du grand public comme de la presse spécialisée, il lui faut proposer des titres novateurs, en prise directe avec l’actualité. Animé par son goût pour le roman policier et la mise en scène, il n’hésite pas à orchestrer des opérations promotionnelles originales — comme cette reconstitution d'une scène de crime dans une rame de train pour le lancement de Série Noire, en lien avec l’adaptation en jeu vidéo de la bande dessinée La Marque Jaune.
Mais au-delà du marketing, Brocard mise aussi sur des jeux ancrés dans l’actualité la plus brûlante. Ainsi, en août 1985, Dossier G revient sur l’affaire du Rainbow Warrior, navire de Greenpeace coulé par les services secrets français — un scandale d’État encore frais dans les mémoires. L’année suivante, Cessna Over Moscou s’inspire quant à lui d’un fait divers spectaculaire : le vol de l’aviateur allemand Mathias Rust, qui, après avoir décollé d’Helsinki, parvint à poser son monomoteur Cessna 172 en plein coeur de Moscou, sur la Place Rouge. Ce qui lui vaudra une condamnation à 4 ans de prison dans un camp de travail forcé en Union soviétique - Il sera libéré au bout de 432 jours de détention. À ma connaissance, il s’agit là du seul jeu à avoir osé adapter en temps réel un événement géopolitique aussi retentissant.
Parallèlement l'expérience d'imprimeur de Brocard permet d'éditer en seulement 18 jours après la sortie de l'Oric Atmos un ouvrage de 144 pages « Au coeur de l'Oric Atmos » écrit par Gilles Bertin, intégrant de nombreuses routines pour créer ses propres programmes.
Si « Meurtre à Grande Vitesse » est le premier grand succès de Cobra Soft, il est rapidement suivi par un jeu au concept diamétralement opposé mais avec un succès tout aussi fulgurant « Cobra Pinball ». Programmé 100% en assembleur par Gilles Bertin, le jeu est encensé par la presse pour son réalisme et comporte presque tout d'un vrai flipper : extra-ball, loterie, couloirs de remontée et latéraux, bumpers, cibles et tourniquer. Certains y ont même vu la fin des flippers.
Quelques mois plus tard, la petite équipe s'étoffe avec les arrivées de Roland Morla et Jacky Adolphe.
Jacky Adophe s'occupe des programmes éducatifs de la société en paralléle de sa carriere de professeur de math-info, avant de sauter le pas et rejoindre définitivement la petite bande. Lui aussi il a été entrainé par l'effervescence des années informatiques, happé dans cette spirale où tout restait à faire. Il travaille tantôt sur les scénarios, en collaboration avec Brocard, tantôt sur la réalisation des jeux.
L'autre personnage central de cette équipe c'est Roland Morla, celui à qui l'on doit presque tous les jeux de stratégie de la société. Avec sa carrure de rugbyman, la casquette vissée sur la tête il a fier allure l'amiral Morla lorsqu'il fait la promotion sur un stand de l'Amstrad Expo de La Villette en novembre 1986 de son nouveau bébé « HMS Cobra » dont il est le seul et unique programmeur.
Pourtant rien ne prédisposait cet ancien inspecteur des lignes aux PTT (Ancienne administration des services de poste, télégraphe et téléphone) à embrasser une carrière d'informaticien, hormis que le démon de la micro l'avait déjà empoigné.
Mais sous son apparence de molosse, c'est bien lui le spécialiste des jeux de réflexion multi-machines de « Cobra Soft », de « Amstra-Dames » sur Amstrad CPC à « Dames 3D » sur Atari ST qu'il programme totalement en assembleur, en collaboration avec le champion de France de Jeu de Dames de l'époque : Luc Guinard.
Roland Morla, programmeur de HMS Cobra Soft et Dames Grand-Maître
Tout ce que je sais en programmation, je l'ai appris sur le tas. C'est mon loisir principal, il m'arrive de développer des trucs qui ne servent à rien juste pour m'amuser. (TILT n°44 juillet/aout 1987)
Une version améliorée du jeu sortira sous le nom « Dames Grand-Maître », en collaboration cette fois avec l'ancien champion soviétique Wladimir Agafonov. Le jeu aura même les louanges du magazine de référence des jeux de plateaux « Jeux & Stratégie » (n°59 de juin 1989). Dans un article signé Luc Guinard, himself, il termine sur ces mots : « Après avoir connu de grandes difficultés dans l'ouverture, le programme s'est rétabli pour finalement l'emporter en finale. Quoiqu'il commette encore des fautes stéréotypés (notamment celle de se laisser enchainer sur son aile gauche), le programme peut se révéler dangereux pour un joueur moyen de club. Reconnaissons à Roland Morla et Wladimir Agafonov le mérite de suivre leur produit et de proposer un des seuls softs de bon niveau sur le jeu de dames. »
Autre figure discrète mais essentielle : Christian Descombes, illustrateur talentueux derrière les graphismes de La Marque Jaune, Meurtres en Série ou encore Ripoux.
Eté 1985 « Cobra Soft » apporte sa contribution au film de Michel Vianney "Le Scientifique" avec Richard Berry. (Théoric n°9 de juin 1985 page 40).
L'année 1985 signe une première année en demi-teinte, mais riche en jeux : « 1815 », premier wargame sur Oric-1, basé sur les guerres napoléoniennes; « HMS Cobra » un jeu de bataille navale durant la seconde guerre mondiale dans lequel vous devez protéger un convoi de navires marchands contre les attaques allemandes ; « Challenger Reversi », un jeu de réflexion comportant 12 niveaux...
Malgré la diversité de ces produits - Jeu d'échec, Jeu de dâme, Simulation navale, Formule 1... et même Astrologie - ce sont bien les enquêtes policières qui vont contribuer à créer son image auprès du grand public.
Avec l’arrivée sur le marché de nouveaux micro-ordinateurs 8 bits comme le Thomson MO5, le Commodore 64 ou l’Amstrad CPC, Cobra Soft tourne définitivement la page de l’Oric. Si le premier jeu de la série, Meurtre à Grande Vitesse, fut développé sur Oric-1, son successeur Meurtres sur l’Atlantique ne connaîtra même pas d’adaptation sur ce support.
Août 1986 c'est cette fois la société qui fait l'actualité puisqu'un tournant stratégique est en marche. Mené par l'ambitieux PDG Bruno Bonnel, Infogrames continue sa politique expansionniste visant à contrôler le secteur du jeu vidéo, absorbant les principaux acteurs du marché vidéoludique français. Après Ere Informatique (Captain Blood, Macadam Bumper, Crafton & Xunk), et une tentative de rapprochement râtée avec le géant américain Epyx — qui fera faillite en 1989, le géant lyonnais de l'édition annonce le rapprochement ou plutôt le rachat de la majorité des parts de Cobra Soft pour sa partie édition. Le studio de développement devient Hitech Productions, toujours dirigé par Bertrand Brocard et basé à Chalon-sur-Saône. On lui devra notamment Murders in Space et Full Metal Planète. Soucieux de rentabiliser son investissement, le Lyonnais dépêche sur place plusieurs cadres dirigeant pour prendre la direction des affaires. Leur objectif : conquérir 15 % du marché des jeux vidéo d’ici fin 1987, rien de moins ! Pour y parvenir, trois axes de production sont définis : les "grands jeux" (entendez par là la série Meurtres), la gamme éducative, et les jeux d’arcade (source : Amstrad Magazine n°20).
En 1987, Brocard se lance dans l'adaptation du film « Les Ripoux », succès au box office de 1984 avec Philippe Noiret et Thierry Lhermitte. Fidèle à l'esprit décalé du film, le jeu vous met dans la peau d'un inspecteur de Police du quartier de Pigalle-Barbès rackettant les petits malfrats locaux, vivant de petites combines et dont l'unique ambition est de réunir assez d'argent pour s'acheter un bar-PMU ! tout en évitant les « Boeufs-carottes », la Police des Polices. Un jeu qui n'est pas sans rappeler sous certains aspect le jeu d' Infogrames « Marche à l'Ombre ». Non content de son adaptation, Brocard participera même à l'élaboration du jeu de société pour Schmidt France.
C'est assez fidèle au jeu sur Micro. On a un peu modifié le déroulement de l'action afin d'utiliser au mieux le plateau du jeu: En tout cas, on s'est bien marré, quand on a fait les tests, ça fonctionne bien surtout à trois ou quatre joueurs. Moi, ce qui me plait le plus, c'est quand on peut aller attaquer la banque où un des joueurs a planqué son fric. Ca m'amuse de le voir cavaler pour essayer de sauver le pognon qu'il a gagné en arnaquant les autres: » (Source : Amstrad cent pour cent n°13 page 6)
Bertrand Brocard, fondateur de Cobra Soft
L'acteur Thierry Lhermitte, l’un des acteurs du film, est lui-même passionné d’informatique et participe à certains salons micro. Dans une interview accordée au magazine Amstrad Cent pour Cent (n°11), il confie même que son fils apprend à lire sur un Amstrad CPC !
Avec le succès des ordinateurs 16 bits, Atari ST et Amiga, la qualité graphique devient un critère incontournable pour l'achat d'un soft. Jusqu’ici focalisé sur ses scénarios, le studio doit revoir cet aspect. C’est ainsi que l'équipe accueille une graphiste : Nathalie Delance. Dans un secteur encore très masculin, elle impose progressivement sa signature visuelle et apporte sa patte artistique qui manquait jusque-là aux productions de la société. On lui doit notamment les visuels d’Action Service et de Meurtres à Venise.
En 1989, Hitech Production - une autre filiale d'ARG Informatique né après la vente de "Cobra Soft" à Infogrames - passe un accord avec l'éditeur Ludodélire pour créer une version informatique du jeu de société « Full Metal Planete » (FMP) créé par Gérard Delfanti, Gérard Mathieu et Pascal Trigaux.
En avril 1989, le magazine « Micro News » indique que « Cobra Soft » a édité plus de 349 logiciels depuis sa création ! soit en cinq années d'existence. Un record !
Parmi les anecdotes insolites, on retiendra celle rapportée dans le Joystick Hebdo n°18 (mars 1989) reçoit Bertrand Brocard reçoit un jour un curieux paquet. À l’intérieur, des photocopies et une simple disquette. Une fois insérée, celle-ci se révèle contenir une version crackée de Meurtres en Série. L’expéditeur, visiblement distrait, avait omis de noter l’adresse du destinataire, obligeant La Poste à ouvrir l’enveloppe. En tombant sur une notice du jeu, les employés retrouvèrent l’adresse de Cobra Soft… et réexpédièrent le tout à l’expéditeur malgré lui !
En 1992, Brocard rejoint définitivement Infogrames mettant fin à l'histoire de Cobra Soft. Il crée le département des jeux multimédia et participera au développement des premiers titres sur CD-i, puis sur cédérom, avant de s’investir, dès 1995, dans la création de communautés en ligne.
En 2016, fidèle à sa passion, il fonde et préside le Conservatoire National du Jeu Vidéo (CNJV) à Chalon-sur-Saône, pour préserver la mémoire de ce pan oublié du patrimoine culturel.
C'est à la fin de l'année 1983 que germe, dans l'esprit de Bertrand Brocard, l'idée de concevoir un logiciel d'enquête policière. Ce sera le premier volet d'une collection baptisée tout simplement "Meutres".
Depuis longtemps, je pensais écrire un logiciel dont le décor serait le TGV: l'idée originale de Meurtre à Grande Vitesse date de fin 1983. Il s'agissait d'écrire un soft original où les problèmes de vocabulaire n'interviendraient pas, qu'on puisse adapter à la plupart des machines familiales et qui n'utilise pas de lecteur de disquettes.
Bertrand Brocard, fondateur de Cobra Soft
Et pour ce coup d’essai, Brocard choisit un décor à la hauteur de son ambition : le TGV, fleuron technologique des années 80, vitrine de l’excellence industrielle française et symbole d’un pays lancé à pleine vitesse dans la modernité. Un choix loin d’être anodin, comme il le confiera dans plusieurs interviews à l’époque :
Le TGV, lieu clos par excellence, se prêtait admirablement à une énigme policière. En décembre 1983, j'ai écrit en une nuit le synopsis et situé les personnages. L'idée a ensuite mûri pendant plusieurs mois, et les différentes trouvailles qui émaillent ce logiciel sont venues progressivement. Je n'ai vraiment attaqué l'écriture qu'à la rentrée 1984. C'est à ce moment-là que j'ai eu l'idée d'introduire de véritables indices qui enrichissent énormément le logiciel. Bien sûr un certain nombre d'éléments ont été apportés par des amis ou des collaborateurs qui suivaient l'avancement du projet développé sous le nom de code « OMNIBUS »:
Bertrand Brocard, fondateur de Cobra Soft
Dans une ébauche de programme appelée alors « PROJET OMNIBUS » il pose les bases du premier scénario de « MGV - Meurtre à Grande Vitesse».
Le ton est donné au dos de la boîte, où l’auteur-scénariste annonce clairement la couleur :
« Agatha Christie a immortalisé l'Orient-Express: C'est à nouveau un train extraordinaire le T.G.V qui sert de décor à ce nouveau type de logiciel : au-delà du jeu d'aventure, il s'agit d'élucider une énigme policière: »
Tout commence par l’assassinat du sénateur Louis Pérignac. Le haut responsable rentrait à Paris après une escale à Lyon, où il participait à une commission sénatoriale chargée de lutter contre le trafic de drogue. À ses côtés : son épouse, bouleversée, à qui un médecin de fortune a dû administrer un calmant. C’est là que le joueur entre en scène.
Chaque écran du jeu représente une voiture du TGV. Votre position est indiquée par une croix. Les graphismes, rudimentaires, reflètent les limites de la machine : une poignée de pixels émergeant laborieusement de l'écran. Le jeu tient en seulement 48 Ko de mémoire — un exploit technique en soi — et tourne sur un Oric 1 ou Atmos, des machines bien loin des standards actuels. Le rythme y est lent, très lent. La faute au cycle d'horloge mou de l'Oric. Passer de la première à la huitième voiture prend plusieurs minutes. Mais ce temps d’attente fait aussi un peu partie de l’ambiance : on joue en 1984, et chaque déplacement devient une décision stratégique.
Pour dénouer l'intrigue, vous serez amené à interroger huit passagers répartis dans les huit voitures de la rame, fouiller les bagages, observer les détails, collecter des indices, et même... utiliser un Minitel ! - Nous sommes bien en 1984 - Chaque personnage peut vous fournir jusqu’à quatre informations, qui se débloquent successivement à condition d’avoir accompli certaines actions ou découvert certains éléments. Le tout forme une mécanique d’enquête où chaque révélation alimente une tension narrative croissante.
Et comme dans "Le Crime de l’Orient-Express", chacun des passagers semble avoir une bonne raison d’en vouloir au sénateur
C'est une belle brochette de suspects hauts en couleur que Bertrand Brocard met en scène dans son jeu. Pour façonner ses personnages, il puise son inspiration dans des sources variées : bandes dessinées, affiches de films — comme celle, iconique, de Marlène Dietrich dans Shanghaï Express. Leur transposition à l’écran relève presque de l’artisanat : chaque silhouette est patiemment dessinée pixel par pixel, jusqu’à ce qu’un visage, une posture, un regard prenne vie dans les contraintes étroites de l’Oric.
A l'époque, nous n'avions pas d'imprimante ou de photocopieur, nous faisions tout à la main. Je dessinais d'abord les personnages sur un papier-calque, que je posais ensuite sur l'écran. Puis je recopiais point par point sur l'ordinateur. J'avais deux pixels pour faire un nez ! Il fallait aussi créer tous nos outils, que l'on commercialisait après.!
Bertrand Brocard, fondateur de Cobra Soft
- Mme PERIGNAC, bien loin de la veuve éplorée, elle a contracté une assurance-vie très lucrative dans le cas où son mari venait à disparaitre ! L'enquête commence bien. Premier mobile. Premier suspect.
- Louis PERIGNAC, le frère du défunt, travaille pour une importante société financière. Son frère, Albert, était d'ailleurs au conseil d'administration, mais il finit par le pousser vers la sortie pour une sombre histoire d'adultère. Deuxième suspect.
- Mme TRICOT, une vieille dame. innocente ? Sûrement pas. Elle s'est déplacé de la voiture 2 où elle avait été placé pour se mettre juste derrière le sénateur en voiture 3. Elle garde une certaine rancoeur contre le sénateur et trouve que cela n'est pas une grosse perte ! Et un suspect de plus.
- Mme VOSS, cette passagère n'est peut être pas là par hasard. Vous découvrez rapidement qu'elle était la maitresse d'Albert PERIGNAC. Leur relation finie, la jeune femme éconduit ne semblait pas accepter cette nouvelle situation. Elle a essayé de parler à PERIGNAC au bar mais cela a fini évidemment par un violente dispute. Suspect ++
- Mr MOZARELLA, un étrange personnage, un peu caractériel. Il a offert un verre à PERIGNAC au bar mais cela n'était sans doute pas complétement désintéressé. Quelques recherches sur INTERPOL vous apprendront que le personnage n'est pas très net et a déjà un lourd passé judiciaire.
- C'est grâce à lui que vous avez vos premiers renseignements interessants : La dispute entre Mme VOSS et PERIGNAC, le verre bu avec Mr MOZARELLA. Premier personnage clean de l'histoire ? Pas si sûr... mais qui sait ?
- C'est lui qui a découvert le premier le corps de PERIGNAC à son siège lors de sa tournée de contrôle des billets. Un simple contrôleur pourrait-on dire, sauf que le barman vous a dit qu'il avait déjà contrôler PERIGNAC au bar. Un contrôleur qui perd la mémoire ou qui n'est pas très physionomiste, mais est-ce que cela fait de lui un assassin ?
- Dans cette rame endeuillé soudainement, c'est un voyageur qu'on pourrait qualifier d'opportun. Après l'appel du contrôleur à l'interphone, il se présente rapidement pour constater le décès du sénateur. Il relève dans ses premiers constations de petites traces de piqures au cou. Avec ses connaissances médicales il aurait très bien pu être à l'origine de ce meurtre mais reste la question, pour quelle raison en voudrait-il au sénateur ?
Comme tous les jeux de la série « Meurtres », MGV repose sur un minutieux découpage chronologique des événements. Chaque personnage suit un emploi du temps cohérent. Le document de conception original — aujourd’hui conservé au CNJV — témoigne de cette rigueur scénaristique.
Point important : Dans cette première enquête, il n’existe pas de gestion du temps. Les personnages restent à leur place, évitant au joueur des recherches interminables à travers les voitures de la rame.
Marie-Anne Alison contribuera pour sa part à la conception du jeu. La page de présentation du comporte d'ailleurs une faute d'orthographe puisqu'on peut y lire le prénom de Marianne. Elle participera plus tard au dernier jeu de la série, "Murders in Space".
Le packaging reprend le design des logiciels de Cobra Soft de l'époque avec un boitier type VHS très utile pour accueillir les nombreux indices du jeu. Pour la réalisation, Brocard a cherché son inspiration du côté des illustrations de la collection BD noire de 84 aux éditions Glénat et même… une carte postale de la BNP !