Tout commence fin 1988, le jeu de Capcom Ghouls'n Ghosts, suite du célèbre Ghosts'n Goblins venait de sortir en arcade et le jeu connait un succès immédiat. A ce moment là, la société Tad Corporation fondé par des anciens de Data East et qui tient son nom de son président Tadashi YOKOYAMA, a déjà à son actif un jeu de tir très connu "Cabal". L'idée de Toki viendrait d'une personne qui se serait pointé chez Tad avec un portfolio dans lequel il y avait notamment un croquis avec un singe/gorille avec une grosse tête. Le croquis plait immédiatement à l'équipe et il est décidé d'en faire un jeu de plateforme. Oui ! je sais. C'est assez fou d'imaginer cela de nos jours mais à cette époque dans les jeux vidéo c'était assez souvent comme cela qu'un jeu prenait forme. Le projet s'appelle "JuJu Densetsu" en japonais ("La légende de JuJu") et met en scène un guerrier qui se retrouve transformé en signe par un méchant sorcier, dont la belle s'est fait kidnappé et qui logiquement part sauver sa bien-aimée.
Tad est une petit société, c'est donc le programmeur de Cabal, Yusaku AOKI qui est en charge de ce nouveau jeu. Fin 1988, un premier prototype dévoile un jeu de plateforme standard, le singe ne pouvait pas tirer mais il pouvait déjà sauter sur les ennemis, les musiques n'étaient pas encore implémentées. Deux mois plus tard, en février 1989 Y. AOKI est remplacé par Akira SAKUMA, qui décide rapidement de recommencer le jeu de zéro.
Le développement dure environ 10 mois, le temps de la production et de la distibution, la borne d'arcade ne sera disponible qu'en décembre 1989. A l'international pour faciliter la prononciation, il est décidé de renommer le titre du jeu qui deviendra "Toki", et qui n'est autre que le prénom du fils du président Tadashi YOKOYAMA.
Le PCB du jeu est basé sur le processeur star de cette époque, le Motorola 68000 fréquencé à 10 Mhz, équipant déjà la majorité des ordinateurs 16 bits de l'époque comme l'Atari ST et l'Amiga même si sur ces derniers ils avaient des fréquences moins élevées.
Le scénario du jeu n'est pas un exemple d'originalité, certes. La belle qu'il faut sauver est une histoire assez classique dans le monde du jeu vidéo (Mario dans Donkey Kong, Double Dragon) , en anime (Mickey, Popeye, ), littérature ou dans les films.
Certains classent Toki comme un platformer, pour ma part je le classerai plutôt dans les "Run and Gun" dans la lignée de "Ghouls'n Ghosts", mais en moins nerveux. En effet le côté plateforme n'est pas la composante principale du jeu, il n'est même carrément pas développé. Il faut aller tout droit sans se poser de question, contrairement à des jeux comme "Prince of Percia", "Turrican" ou "Blues Brothers". D'ailleurs pour revenir à Ghouls'n Ghosts, les deux jeux partagent d'autres similitudes qu'on verra plus tard. En tout cas Toki a eu un énorme succès en arcade même si on estime que la PCB Jamma originale n'a été produite qu'à environ 5600 exemplaires, le jeu ayant subit un piratage important et des versions bootleg ont rapidement fait leur apparition faisant chuter ses ventes.
Dans Toki on dirige un singe avec une grosse tête, qui ressemble plus à un gorille, et qui a quand même une particularité intéressante, il non seulement sauter sur les ennemis pour les éliminier mais aussi il peut tirer des boules de feu ! oui des boules de feu ! Donc le sorcier truc qui a transformé machin en singe en lui piquant sa copine au passage, il s'est dit "tiens et si je lui faisais cracher des boules de feu". C'est vrai pourquoi ne pas avoir donner à Toki une sarbacane, ca semble plus logique. Mais non ! il crache des boules de feu.
Le jeu est décomposé en 6 niveaux assez variés : Le labyrinthe des cavernes, le lac de Neptune, la caverne de feu, le palais de glace (qui ressemble étrangement à un niveau de Ghouls'n Ghosts, encore lui), la jungle des ténèbres, et enfin le palais doré, le dernier niveau est aussi le plus difficile. Côté ennemis on a 6 boss de fin de niveau dont le démon Bashtar et le sorcier vaudou Vookimedlo et une quinzaine de sous-fifres. On trouve aussi un ennemi un peu plus particulier le singe satan, nommé Bellezador dans le jeu, une copie de Red Arremer de Ghouls'n ghost, c'est un des ennemis les plus intelligents du jeu. Durant votre périple vous pourrez collecter de nouvelles armes comme un tir 3 boules, tir croisé, un tir lance flamme, un casque de football américain qui vous protége uniquement frontalement, des baskets qui vous permettent de sauter plus haut.
Toki est un jeu réputé difficile, très difficile, et il l'est. Un vrai "die and retry" assez punitif. On aime ou on déteste, un peu à la Rick Dangerous, difficile pas par son gameplay même si le gorille traine un peu la patte et que rester sur les plateformes mouvantes est un peu laborieux, ni à cause de ces ennemis dont la plupart des patterns sont scriptés, l'IA n'est en fait pas très évolué, mais bien par le fait que la mort a une double peine, non seulement parce qu'elle vous fait perdre une vie mais aussi vos super armes. Dès lors certains passage sont quasi impossible à franchir sans ses armes. Les sauts se font aussi au pixel près comme les collisions, le placement vicieux de certains ennemis ou obstacles vous obligeant à connaitre parfaitement le parcours et le timing des ennemis au risque de recommencer depuis un checkpoint. Le dernier niveau étant le plus difficile à cause des passages sur le charriot et on a le droit à des doubles Bellezador qui sont en plus deux fois plus résistants, quand au sorcier, accrochez-vous et pour finir 5 continues uniquement sur ce niveau ! Bref c'est du costaud.
Côté musique le jeu ne dispose que de deux thèmes et non un par niveau, Yukihiko KITAHARA n'a pas pu en composé d'autres, faute de temps semble t-il, mais aussi faute de place mémoire, la RAM coutant assez cher à l'époque.
La version de Mame émulant pour la première fois Toki est la version 0.31 qui date de 1998, on doit le driver toki.cpp à Jarek Parchanski ainsi on découvrir quelques commentaires dans le code source :
Le monnayeur est géré par le processeur sonore, donc il ne fonctionne pas avec le son désactivé sinon il faut utiliser un switch. Le bootleg utilise le 68000 à 10MHz (celui du jeu original). C'est l'origine de la lenteur de la machine flottante pilotée par les singes au niveau 1, donc passer le jeu à 12 Mhz, malgré cela quelques lenteurs apparaitront quand même
Jarek Parchanski, programmeur driver Toki.cpp
De plus on y apprend que :
Toki (Bootleg) a une entrée marquée "cocktail" ou "debout" définissant le type de cabine. Le mode "cocktail" ne fonctionne pas. Ce PCB du bootleg ne supportait pas le mode cocktail pour autant que nous le sachions, il a été "sacrifié" pendant le bootlegging, il est pertinent de l'avoir gardé comme tel car il apparaît toujours lors de l'auto-vérification."
Jarek Parchanski, programmeur driver Toki.cpp
Toki a été adapté avec succès par Ocean Software sur pratiquement toutes les plateformes de l'époques : Atari ST, Amiga, C64, Megadrive (qui n'est pas une adaptation arcade mais un jeu original pas très réussie), NES et même Lynx mais pas de version Amstrad CPC ! Une version cartouche GX4000 était bien prévue, des publicités étaient parues dans les magazines, l'équipe avait fait le premier niveau mais un problème de place mémoire sur la cartouche s'est posé augmentant le coût du jeu, le développement fut abandonnée. Une version Spectrum fut aussi annoncée mais ne vit finalement pas le jour.
En juin 2019, un superbe remake qui aura mis presque 10 ans à être finalisé, sort enfin sur Nintendo Switch, PS4, Xbox One et PC. Cette sortie apporte des fonctionnalités supplémentaires comme le mode speedrun et jukebox (pour écouter les musiques réorchestrées), et des filtres graphiques. Les nouveaux graphismes en HD, très DA, sont signés Philippe DESSOLY (graphiste sur Beach Volley, Ivanhoe, Mr Nutz...), qui avait déjà travaillé sur les conversions Amiga et Atari ST de Toki et Pierre ADANE (Pang, Snowbros, Mr. Nutz).
Une nouvelle version Amstrad CPC est annoncée par le groupe GGP1, pour le moment seul le premier niveau très prometteur est disponible et comparé avec la version C64 c'est le jour et la nuit.
Tad développera encore 4 jeux : en 1990 "Blood Bros" et "Sky Smasher" et en 1992 "Legionnaire" et "Heated Barrel".
Deux ans après la sortie de Toki, en décembre 1992 alors que les jeux produits par la société avaient plutôt bien marché, la société Tad ferme ses portes à surprise générale y compris même celle de ses employés, alors qu'un "Toki 2" était en chantier sur Super Famicom. A la cessation de la société, le code source du jeu est revendu à la société Altron et sera utilisé pour créer le jeu SNES "Little Magic". La plupart des anciens employés de Tad partiront ensuite chez Mitchell.